La note blues

Le Blues.
En anglais blues veut dire bleu. Il signifie également cafard, mal être, mal de vivre, sans doute d’après l’expression blue-devils, ces diables bleus qui, disaient on, provoquaient ces états. Après la guerre de sécession le blues désigne une musique, mais aussi un état d’esprit, une manière de vivre des noirs aux Etats-Unis, profondément lié à la ségrégation.

Techniquement, le Blues possède une structure de 12 mesures du type AAB, avec altération de certaines notes d’un demi-ton, ces altérations étant appelées blue notes. Cette définition austère est très incomplète. D’abord parce que le Blues favorise l’improvisation, l’interprète pouvant changer le rythme, la structure d’une chanson suivant son humeur : on peut ainsi trouver des morceaux comprenant 8 ou 16 mesures. Ensuite, parce que c’est au départ une musique ethnique, le bluesman jouant un grand rôle au sein de la communauté afro-américain : il doit tout à la fois savoir chanter, composer, improviser, amuser, être virtuose de son instrument. Il est poète, chroniqueur de la vie quotidienne, mais également historien, puisqu’en récoltant des chansons traditionnels il devient gardien de la mémoire collective. Surtout, c’est un guérisseur : lorsqu’il joue, le bluesman extériorise ses peines, ses craintes, ses peurs, les exorcisant du même coup. Mais pour arriver à ce résultat, il faut à l’artiste un public réceptif, qui communique avec lui et le pousse au meilleur de lui-même.


La naissance.
Selon les ethnomusicologues, le Blues serait né vers la fin du XIXe siècle dans le delta du Mississippi. Delta est un terme impropre puisque ce n’est pas l’endroit où le Mississippi se jette dans le golfe du Mexique, mais la région à cheval sur les Etats du Mississippi, du Missouri de la Louisiane et de l’Arkansas ou de nombreuses rivières rejoignent le fleuve. Le Blues est né d’un mélange de cultures. La première qui prédomine est bien sur la culture africaine, notamment pour ce qui est des rythmes. Ce n’est pas un hasard si la batterie est seul instrument inventé par les noirs américains. Également présents dans le Blues les hollers ou arhoolies, ces chants a capella rythmant les travaux, ainsi que les Negros Spirituals et les Gospel Songs chantés dans les églises, lieux de réunions et de vie sociale.
A cette culture africaine s’ajoute la culture européenne. Durant l’esclavage les noirs sont en contact constant avec les maîtres blancs et avec leur musique. Le fait que de nombreux Etats sudistes fassent voter des race codes, ces lois interdisant aux esclaves de jouer de la musique de peur qu’ils ne communiquent entre eux et ne se révoltent, obligent les noirs à abandonner leurs instruments originels et à utiliser ceux des blancs : la guitare vient d’Espagne via le Mexique, le violon d’Angleterre, ce dernier plus tard supplanté par l’harmonica d’origine Allemande. Après la guerre de Sécession et la mise en place de la ségrégation, les rapports entre noirs et blancs continuent d’exister. Ainsi Jimmy Rodgers, un des pionniers de la Country Music, apprend-t-il la guitare auprès d’un noir. Inversement, le violoniste blanc Bob Wills influence des dizaines de musiciens noirs. II faut dire aussi que jusque vers la fin des années 30, les noirs qui ont la radio ne peuvent écouter dans leurs postes que des musiques blanches. WDIA, la première radio entièrement faite pour les noirs ne voit le jour qu’en 1938 à Memphis.
Autre influence sur le Blues, celle de la musique hawaiienne. Au début du siècle, les musiques venues des îles sont à la mode, symbolisant à la fois l’exotisme et le paradis. Nombres de musiciens hawaiiens effectuent ainsi des tournées dans le Sud des Etats-Unis, au sein de spectacles itinérants. Selon l’ethnomusicologue Bob Brozman, par ailleurs excellent guitariste, se seraient eux qui auraient apporté aux bluesmen la technique du slide, méthode consistant à faire glisser le long du manche de la guitare un goulot de bouteille (bottleneck).
Dernière influence sur le Blues qu’on ne pense pas souvent à citer, les musiques indiennes. On sait malheureusement peu de choses sur elles, si ce n’est qu’elles ont certainement eu un rôle sur le rythme et la voix. Beaucoup d’indiens vivent dans le delta du Mississippi et se sont mélangés aux les noirs.

Fixation du Blues.
Lorsqu’on écoute les premiers enregistrements de Charley Patton en 1929, on s’aperçoit que son répertoire est très étendu. Outre des Blues on trouve aussi des thèmes traditionnels et des airs populaires. Au départ musique parmi d’autres, le Blues finit par s’imposer. Pour les spécialités, cela s’explique du fait de la ségrégation, obligeant les noirs à vivre dans des conditions très dures et les faisant choisir cette musique qui traduit bien leurs souffrances.
D’autre part, l’arrivée du disque contribue aussi à fixer cette musique. Lorsque Mamy Smith enregistre le premier Blues de l’histoire en 1920 le succès est immédiat. Des dizaines de compagnies, souvent indépendantes, partent dans le Sud pour trouver des artistes de talent. On assiste à la création des races records, ces disques destinés uniquement au public noir, avec un classement des meilleures ventes séparé de celui des blancs. Les disques, 78 puis 45 tours obligent les musiciens à limiter la durée de leurs morceaux à 3 mn. D’autres part, leurs diffusions dans tous les Etats-Unis a pour effets d’atténuer les particularismes régionaux de cette musique.


La Diffusion.


Partant du
delta du Mississippi, le blues c’est propagé au début du siècle grâce aux musiciens itinérants, suivant les grands courants migratoires des noirs vers le Sud, l’Ouest et le Nord, donnant lieu à des styles différents.

Le style de ce blues est dominé par le rythme plutôt que la mélodie qui est même parfois absente. Si aujourd’hui on connaît surtout Robert Johnson, il ne faut pas oublier qu’il n’était que l’un des stylistes du Delta parmi d’autres encore plus influents. Nous ne reviendrons pas sur Charley Patton, Son House, Bukka White, Skip James, Big Joe Williams et les autres.

Au Texas le blues du Mississippi s’est enrichit d’influences hispaniques et notamment de la musique flamenco. C’est ce qui explique que les musiciens de cette région soient plus virtuoses que ceux du Mississippi, accordant en général plus d’importance à la mélodie qu’au rythme. Durant la seconde guerre mondiale beaucoup de musiciens texans partent sur la côte Ouest et apportent leur musique avec eux. Malgré un racisme et une ségrégation féroce, le Texas a aussi été un lieu très fructueux d’échange entre

musiciens blancs et noirs, donnant des styles de musique populaires très attachants comme le Western Swing. Nous citerons Blind Lemon Jefferson et Texas Alexander comme les pères fondateurs du blues texan.

Ce blues de la côte Ouest se distingue pourtant du blues texan par une influence supplémentaire : celle des grands orchestres de jazz des années 30. II se caractérise aussi par un son plus cool, due aux conditions de vie beaucoup moins dures.

Avec la Louisiane, nous avons à faire à un cas particulier. Zone de carrefour, le Blues connaît des évolutions différentes suivant les endroits dans cet Etat. Ainsi, après la seconde guerre mondiale nait autour de Baton Rouge le swamp blues, mélange de blues texan et de blues du Mississippi, mais qui possède une identité propre. Autour de Lafayette, le Blues entre en contact avec la culture française : il en résulte le Zydeco, musique jouée à l’accordéon et souvent chantée en français ! Enfin à la Nouvelle Orléans, le Blues se mélange avec le jazz de cette ville, mais aussi avec les rythmes latino du golfe du Mexique tout proche.


Sur
la cote Est des Etats-Unis le blues connaît encore une évolution différente. C’est une musique plus douce, plus virtuose, très influencée par le ragtime. Selon les ethnomusicologues, cette évolution s’explique peut-être par une ségrégation moins dure dans cette région, donnant une musique plus douce. Ce blues marie le blues venu probablement assez tardivement du Delta avec de fortes traditions musicales locales. Les plantations de tabac ou de coton de ces États a engendré une tradition musicales importantes, mariant les mondes Africains et Européens et donnant ce qu’on appelle aujourd’hui “Folk Music”. Un jeu de guitare (ou d’harmonica) très exubérant, virtuose et délié y est à l’origine du Fingerpicking qui a pris naissance dans les années 1910. Blind Blake est le grand créateur de ce style, ainsi que Blind Boy Fuller, Révérend Gary Davis, Brownie Mac Ghee ou Sonny Terry. Enfin, les blues de la Côte Est racontent une histoire, souvent d’amour déçu,


Enfin, sur la route qui mène dans le nord deux villes méritent une attention particulière.

Memphis est la première étape pour les noirs désirant se rendre plus au Nord. Avant la seconde guerre mondiale sa scène musicale est essentiellement occupée par des orchestres de rues (string bands, jug bands). Après 1945 les goûts du public évoluent vers une musique plus dure avec suramplification des instruments.

MEMPHIS a depuis fort longtemps été le débouché naturel des plantations de coton de la basse vallée du Mississippi. Les orchestres de la ville ne sont pas très accueillants pour les musiciens venus de la campagne. Mais la demande est telle que beaucoup réussissent en adaptant le “Back Porch Blues”, celui que l’on joue sur les vérandas dans la campagne, à l’atmosphère de la capitale du coton. C’est la fin du blues en “solitaire” et la naissance des duos de guitare. C’est ainsi que la discipline, la mesure et le rythme régulier sont acquis. Une guitare assure le soutien rythmique, l’autre joue les contre chants, parfois des solos. Ces duos de guitare constituent la nature essentielle du nouveau MEMPHIS Blues qui se met en place à la fin des années 20 avec Frank Stokes, Memphis Minnie et Furry Lewis.

A côté de ces duos de guitare, on trouve aussi d’extravagantes élaborations orchestrales : une floraison de Jug Band voit le jour avec pour instruments des jarres de whisky vides ou à demi-pleines dans lesquelles on souffle, clochettes de vaches, mandolines, guitare, kazoos, peignes et harmonicas. Le Memphis Jug Band est le plus connu de ces orchestres de bric et de broc.

Chicago est l’un des buts finals de cette migration vers le Nord. Avant 1945, s’y développe un blues urbain très sophistiqué, appelé Bluebird Sound. Puis à partir des 50 une musique plus dure voit le jour, du fait que beaucoup des musiciens qui jouaient à Memphis ont migré à Chicago. Selon les contextes et suivant les influences rencontrées, le blues a connu des transformations diverses. Chicago est bien entendu l’étape ultime. Contrairement à Memphis et St Louis, Chicago est dotée de studios d’enregistrement perfectionnés. Les artistes du sud qui viennent pour enregistrer sont tentés de profiter des multiples opportunités qu’offrent les bars et les tavernes des quartiers noirs. Ils impriment une force et une urgence de vivre qui trouveront leur pleine mesure quelques années plus tard avec la possibilité d’électrifier les instruments, notamment la guitare et l’harmonica.

Parmi les premiers artistes du Chicago blues, notons Big Bill Bronzy, Tampa Red, Jazz Gillium, Arthur “Big Boy” Crudup, John Lee Williamson

Il n’y a donc pas un mais des blues. C’est cette diversité qui toute fait la richesse de cette musique, et le fait qu’elle ait influencée toutes les autres musiques du XX e siècle.

L’Avenir du Blues

Qu’en est-il de l’avenir du Blues ?

Le Blues malgré le fait qu’il soit marginalisé par les médias est en très bonne santé. De nombreux musiciens et artistes contribuent à perpétuer sa tradition tandis que d’autres en élargissent les horizons en y incorporant diverses influences musicales.

Le débat est toujours aussi actuel, à savoir qui des puristes ou des progressistes ou évolutifs si vous préférez ont raison. De fait, les deux groupes ont leur place. Les puristes assurent une survie et une connaissance des racines profondes du Blues en plus d’en sauvegarder l’authenticité. Ceux qui par contre y incorporent de nouveaux ingrédients contribuent à son évolution et aussi à sa propagation dans le public.

À l’image de ses pionniers le Blues ne sera jamais une musique qui détiendra une place prépondérante du point de vue commercial. Et c’est très bien ainsi. Il continuera à faire son petit bonhomme de chemin en ne dérangeant personne et en se produisant dans les endroits qui favorisent le contact entre l’artiste et son public. Le Blues a près d’un siècle d’existence et bon an mal an il continue à évoluer et à progresser. Les bluesmans du futur vont continuer à jouer cette musique si simple techniquement parlant mais si difficile à ressentir.

Dans cent ans, un homme grattera encore sur sa guitare des airs mélancoliques racontant mille et une misères mais si vous scrutez son regard vous y trouverez un petit quelque chose de brillant, comme dans le regard de celui qui sait que la musique qu’il joue est à l’origine de toutes les musiques que ses enfants écoutent et aiment.

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